La Souccah

Robert Farhi

 

La fête de Souccot réveille en moi un souvenir installé dans ma mémoire pour toujours et que je vais évoquer dans ces lignes.

Mon grand-père Mourad, arrivé de Syrie au début du 20è siècle, vivait à quelques minutes de ma maison. Ma maison bien sûr, je la revois avec précision ; j'en connais tous les coins et recoins car j'y ai habité jusqu'à l'âge de 17 ans . Je revois aussi la maison de grand-père où je me rendais presque tous les jours pour y retrouver mon cousin qui avait mon âge et avec qui je m'entendais très bien.

Mourad Farhi
(1857-1949)

Les vendredis après-midi, grand-père mettait son beau costume noir au dessus d'un gilet gris, nouait son nœud papillon et se préparait à « aller au temple » avec ses petits-enfants, non sans avoir coiffé auparavant son superbe tarbouche rouge qui le faisait ressembler au grand Rabbin Nahoum Effendi avec qui il était d'ailleurs très lié.

A Souccot évidemment, nous accompagnions grand-père au temple de Chaar Hachamaïm à la rue Adly et nous étions fiers au retour de tenir dans nos mains le « loulab », gerbe de céréales dont nous ne comprenions alors pas la charge symbolique qu'elle représentait.

Arrivé chez lui, grand-père se dirigeait vers le balcon où se trouvait dressée une Souccah, LA souccah de mon souvenir . Fixées sur la balustrade du balcon, 4 poutres s'élançait à 3m de hauteur pour recevoir 4 poutres transversales que l'on recouvrait de branches de palmier et voici reproduite la tente où nos ancêtres dans le désert trouvait un abri de fraîcheur et de recueillement.

Grand-père y passait la majeure partie de la journée, récitant ses prières ou lisant son journal en arabe ou parfois, les fins d'après-midi, jouant avec mon père et mon oncle des parties interminables de « tawla ».La souccah remplissait l'espace et la vie coulait avec douceur.

Je ne savais pas à ce moment avec quelle force ces images allaient s'imprimer dans ma mémoire.

Je suis obligé de reconnaître que dans ces moments, je ne comprenais ni ne partageais la ferveur religieuse de grand-père.  Mais je comprends maintenant la force qui l'animait, lui et sa famille pour respecter et perpétuer une tradition qui les reliait à un passé immémorial.

Nous sommes en juin 1947 ; je fais mes adieux à la famille car je quitte ce havre de sérénité qu'était le pays de mon adolescence pour aller poursuivre mes études en France.

Les années succèdent aux années avec leurs cortèges d'évènements graves dans le monde et au Moyen-Orient en particulier qui m'empêchent de retourner chez « moi ».Mes parents avaient quitté le pays mais je tenais à y retourner pour retrouver mes souvenirs.

En 1979 donc, je retourne au Caire. Je sillonne la ville en long et en large et je suis submergé d'émotion en retrouvant des pans entiers de souvenirs.

Après avoir eu la chance de visiter  mon appartement de la rue Chérif  Pacha, je me dirige à 100 m de là vers la maison de grand-père .Je longe le trottoir plusieurs fois en faisant remonter un millier d'images puis machinalement, je lève les yeux vers le balcon du 3è étage pensant revoir un visage familier et ce que je vois me remplit de stupeur ; la souccah était toujours là ! Est-ce possible ?ou est-ce une  hallucination ? Cette souccah que j'avais quittée voilà des dizaines d'années était restée à sa place !!Les branches de palmier ne la recouvraient plus certes mais pour mes yeux, elle était restée intacte, auréolée de tant de souvenirs, les miens et tous ceux de ma famille.

La gorge nouée, je m'éloigne lentement, encore sous le choc de ce petit miracle.

Ce soir, je vais me retrouver sous une autre souccah, plus grande, plus anonyme.

La pérennité de nos fêtes et de nos traditions est le socle de notre religion.

C'est dans cet esprit que je vous souhaite une bonne fête, dans la joie et dans la paix.

Robert Farhi