J'ai grandi a l'ombre du Pharaon
Les Juifs d'Egypte
by Maurice Mizrahi

Bonjour. Je suis Maurice Mizrahi. Nous sommes le 18 avril 2012. En octobre 2004, j'ai fait un exposé en anglais sur les Juifs originaires d'Egypte, dont je fais partie. On m'a suggéré de le traduire en français, parce qu'après tout le français était la langue principale des Juifs d'Egypte. Aussi, il faut multiplier les témoignages oraux du mal qui a été fait aux Juifs des pays arabes, et non pas se limiter aux témoignages écrits, pour réduire les chances qu'un jour des gens mal-intentionnés ne puissent prétendre, comme ils le font pour la Shoah, que "ce mal n'est jamais arrivé". Eh bien, oui, il est arrivé, et voici au moins *un* témoignage oral dans ce sens.

Video : http://youtu.be/Pjrxdol9S68

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Le commandement numéro 601 de la religion juive déclare: Jamais plus tu n'habiteras en permanence dans le pays d'Egypte. [Deut. 17:16; Deut. 28:68; Ex. 14:13].

Eh bien, il semblerait que j'ai mal commencé.

Je suis né en Egypte, début septembre 1949, un habitant permanent. Quelques jours plus tard, c'était Yom Kippour, et j'apprenais déjà à battre ma coulpe dans le repentir: "Pour le péché que nous avons commis en habitant en permanence dans le pays d'Egypte" !

Je suis donc né au Caire en 1949 et j'y ai vécu jusqu'à l'âge de 18 ans. Je suis ensuite allé aux Etats-Unis en tant que réfugié, et j'y ai vécu jusqu'aujourd'hui. Et presque chaque jour j'ai dû subir... L'INTERROGATOIRE !

Voyez-vous, quand *vous* rencontrez quelqu'un, la plupart d'entre vous dites que vous êtes, par exemple, de Toulouse, et vous passez à autre chose. Moi, je ne peux pas le faire. Je dois prévoir de 20 à 30 minutes pour ce processus. Voici un exemple de conversation avec un anglophone:

-Monsieur Mizarhi ! Vous avez un accent fort intéressant. Vous êtes d'où?
-Mon accent est français.
-Français ! J'ai étudié le français au lycée. Vous venez de quelle partie de France ?
-Je ne suis pas français. Je suis italien.
-Italien ! Ça alors ! J'aurais dû deviner que "Mizarhi" était un nom italien. Alors, vous avez vécu en France ou en Italie ?
-Ni l'une ni l'autre. Je suis né et j'ai grandi en Egypte.
-En Egypte ! J'ai toujours voulu aller là-bas et voir les Pyramides. Et, franchement, entre nous, j'ai toujours eu un faible pour le côté arabe, et pas l'autre côté, si vous voyez ce que je veux dire.
-Je ne suis pas un arabe. Mon nom, MIZ-RA-HI, est hébraïque. Je suis juif.
-Juif ! Mais alors... Comment vous...

Et ainsi de suite. Parfois j'essaie d'abréger et je dis:
"Je suis né et j'ai grandi en Egypte, dans une famille juive italienne francophone, et je suis à présent américain."

Mais ça ne marche pas. Invariablement, on me rétorque: "Hé, du calme ! Pas si vite ! Vous dites que vous êtes... français ?"

J'ai essayé d'autres façons de présenter la chose.

-Je suis un afro-américain. Je suis né et j'ai grandi en Afrique.
-Je suis un hispano-américain. Mes ancêtres étaient espagnols.

Pour une raison ou une autre, ça ne marche pas non plus.

Je recherche toujours une façon d'éviter de raconter ma vie en détail à tous les gens que je rencontre, sans mentir ou être impoli. (Je plaisante. Ça ne me dérange pas outre-mesure.)

En effet, ma famille, comme tant de familles juives hors des Etats-Unis, est un jardin zoologique de langues et de cultures.

En Israël, on m'appellerait sépharade. Mais en fait, il y a les vrais Juifs sépharades, ou descendants des Juifs d'Espagne, et les Juifs Mizrahi, ou orientaux, qui n'ont jamais quitté le Moyen-Orient. Mon père était un vrai Juif sépharade. Il s'appelait Mizrahi, bien qu'il ne fût pas Mizrahi. Ma mère, elle, était bien Mizrahi, bien qu'elle ne s'appelât pas Mizrahi. C'est clair ?

Donc, étant moitié sépharade et moitié oriental, j'étais bien obligé de choisir une épouse ashkénaze ! Mes enfants relèvent donc des trois categories !

Ma langue maternelle est le français. J'ai fait mes études en français, puis en italien, puis en français et arabe ensemble, puis de nouveau en français seulement (pour la terminale), puis en anglais pour l'université. Ces changements nous étaient forcés par les courants politiques -- ou disons plutôt les bourrasques. Mon frère, de 8 ans mon aîné, a fait ses études en français, puis en arabe. Mes soeurs, plus âgées de 13 et 15 ans, ont fait leurs études en anglais. Mon père parlait l'espagnol avec sa famille, ou plutôt le ladino, la langue des Juifs espagnols, et il a fait ses études en italien. Ma mère parlait arabe avec sa famille, et elle a fait ses études en français. Sa famille venait de Syrie et du Liban. Mon grand-père paternel venait de l'île de Rhodes, et ma grand-mère de Salonique, où on parlait le grec. Mon arrière grand-père, le rabbin Yomtob Mizrahi, était de Smyrne, en Turquie, où il a construit une synagogue et parlait le turc. Et, cela va sans dire, tout ce beau monde allait à la synagogue et priait en hébreu !

Cessez de bâiller, là, au fond. Je vous ferai passer un examen juste après l'exposé !

La langue maternelle de mes enfants est l'anglais. Je me demande quelle sera la langue maternelle de leurs enfants à eux. L'hébreu, peut-être ? Mes parents sont à présent dispersés de par le monde. Ils sont en Israël, aux Etats-Unis, en Australie, en Belgique, en Espagne, au Portugal, au Vénézuela, au Brésil, au Mexique, au Costa Rica, au Guatemala, et j'en ai probablement oublié. Telle est la destinée du Juif.

Une communauté juive a existé en Egypte depuis les temps les plus reculés. Alexandrie avait une énorme communauté il y a plus de 2000 ans, et elle a prospéré pendant des siècles. Le grand philosophe Maïmonide a vécu et travaillé en Egypte, il y a plus de huit siècles. Les renseignements depuis lors viennent surtout de la Guénizah du Caire, une précieuse trouvaille de quelque 280.000 manuscrits juifs découverts vers la fin du 19ème siècle dans la Guénizah de la synagogue Ben Ezra et le cimetière Bassatine, où mon père et mes ancêtres sont enterrés. Cette Guénizah atteste d'une longue présence juive ininterrompue en Egypte.

Il y avait des temps bénis et des temps moins bénis, où nous avons même effleuré le génocide. En 1524, le vice-roi Ahmed Pasha avait décidé d'exterminer tous les Juifs du Caire si une somme impossible ne lui était pas versée, beaucoup plus que tous leurs biens réunis. Mais il complotait aussi contre l'Empereur, Suleiman II. Le jour de l'échéance qu'il avait fixé pour les Juifs, le 28 Adar, il a été assassiné par des troupes loyales à l'Empereur, et les Juifs ont été sauvés. Depuis lors, un parchemin relatant ces événements a été lu dans toutes les synagogues d'Egypte chaque année en ce jour, Pourim Mitzrayim, le Pourim d'Egypte, célébré séparément du Pourim traditionnel.

Vers le milieu du 19ème siècle, de nouveaux Juifs ont été invités à s'installer en Egypte par le vice-roi, Mohammed Ali, et ses successeurs. Ces nouveaux Juifs sont arrivés, tous mes grands-parents parmi eux, et ont facilité la réalisation d'un miracle économique. Ils ont produit des commerçants, des banquiers, des industriels, des bâtisseurs, des médecins, des ministres, des intellectuels, des nationalistes -- trop de monde pour donner le détail. Ils ont construit l'Egypte moderne. Tous les grands magasins d'Egypte, sauf un, ont été fondés par des Juifs.

La communauté était diverse. Il y avait des Juifs pauvres, des Juifs de classe moyenne, des Juifs riches, en nombre presque égal. Nous étions au milieu. Mon père avait une petite mercerie au centre-ville, avec deux employés, non loin de notre appartement.

Plus de 90% des Juifs d'Egypte se sont vus refuser la nationalité égyptienne, même s'ils étaient nés dans le pays. Ils étaient "apatrides", et ne bénéficiaient donc d'aucune protection, de quiconque. Certains ont pu revendiquer une nationalité européenne grâce à leur ascendance. Ma famille était italienne parce que mon grand-père paternel était né dans l'île de Rhodes, qui était pendant quelque temps administrée par l'Italie. Mes deux parents sont nés en Egypte, mais aucun de mes grands-parents.

Les Juifs en Egypte étaient près de cent mille en 1948, lorsqu'Israël a été créé, et que l'Egypte a envoyé son armée pour étouffer l'état nouveau-né dans son berceau. Ensuite, l'étau a commencé à se resserrer autour d'eux. Il n'en restait plus que dix mille après la guerre de Suez, en 1956. Il n'en restait plus que mille avant la Guerre des Six-Jours, en 1967, dont moi-même. J'ai quitté début novembre 1967. J'étais un des derniers Juifs à quitter l'Egypte. Il en reste moins que cent aujourd'hui, surtout des dames âgées en mariages mixtes.

Comment l'étau s'est-il resserré ?
-Les plus gros commerces ont été séquestrés et placés sous le contrôle d'un agent du gouvernement, le propriétaire étant réduit à être un simple employé temporaire avec un petit traitement.
-Les permis d'importation et d'exportation ont été rétirés, y compris ceux de mon père, ce qui a fortement affecté son commerce.
-Les fonctionnaires ont été renvoyés.
-Beaucoup d'endroits ont fermé leurs portes aux Juifs.
-Les Juifs se sont retrouvés sur la liste noire et ne pouvaient pas trouver de travail.
-Il fallait soudoyer à droite et à gauche pour réduire les chances d'être inquiétés.
-Les comptes en banque étaient souvent bloqués.
-La surveillance était serrée, sans souci de subtilité. La peur nous tenaillait. Nos mézuzot étaient à l'intérieur, pas à l'extérieur.
-Les voyages à l'étranger étaient interdits, à moins qu'ils ne soient à sens unique: Dehors.
-Des centaines de Juifs ont été arrêtés, emprisonnés, torturés, humiliés, dépouillés, et expulsés, forcés de déclarer par écrit qu'ils abandonnaient "volontairement" tous leurs biens et ne reviendraient jamais en Egypte.
-Il y avait de temps en temps des manifestations anti-juives, des meurtres, des attentats à la bombe, des incendies volontaires dans le Quartier Juif. Les Juifs étant pour la plupart apatrides, ils n'avaient aucune protection, personne pour intervenir en leur faveur.

On me signale parfois que beaucoup d'étrangers, et même certains Egyptiens, ont subi le même sort. C'est vrai. Mais, comme l'a dit Elie Wiesel dans un contexte différent: "Les victimes n'étaient pas toutes juives, mais tous les Juifs ont été des victimes".

Vous pouvez vous imaginer combien il semblait déplacé de célébrer la Pâque juive chaque année au Caire, en Egypte, de nous remémorer comment le bon Dieu nous a faits sortir d'Egypte, la terre d'esclavage, avec une main puissante et un bras étendu, avec des signes et des prodiges, alors que nous étions justement toujours en Egypte, et que notre situation empirait visiblement d'année en année !

En tout, il y a eu 850.000 réfugiés juifs des pays arabes, du Maroc au Yémen, sans compter leurs descendants. Des communautés immémoriales déracinées l'une après l'autre. Tout ceci, le monde ne semble pas le savoir. Pourquoi ?

Parce que lorsque toutes ces tragédies se déroulaient, les grands quotidiens du monde et les grandes chaînes de télévision n'étaient pas là pour afficher notre malheur à la une ou sur le journal parlé. Les Nations Unies ne publiaient pas de résolutions à n'en plus finir pour souligner ces injustices. Après tout, nous n'étions que des Juifs, n'est-ce pas, et c'est bien là la coutume des Juifs, non ? Errer à travers le monde en éternels vagabonds, recommencer à zéro dans des terres étrangères, une fois, deux fois, parfois même plusieurs fois dans une seule vie. Et quand je dis "zéro", je pèse mes mots. Depuis que j'ai quitté l'Egypte, j'ai dû gagner chaque sou que j'ai dépensé.

Aussi, Israël et les communautés juives de par le monde ne nous ont pas traités comme les Arabes ont traité leurs frères palestiniens. Ils ne nous ont pas laissés pourrir dans des camps de réfugiés, en nous apprenant la haine, en nous accordant à peine de quoi manger, en ne nous permettant pas de devenir citoyens, en nous incitant à commettre des actes de terrorisme, en nous manoeuvrant comme des pions pour leurs propres desseins politiques. Non, ils nous ont accueillis à bras ouverts. Ils nous ont donné des droits et une nationalité. Ils nous ont permis de recommencer dans la dignité. Les deux-tiers d'entre nous sont allés en Israël, et le reste dans la Diaspora d'occident.

Quand je grandissais en Egypte, le plus dur était de voir tous mes amis et toute ma grande famille disparaître autour de moi, les uns après les autres, au fil des années. Ce processus de deuil silencieux a commencé quand ma première petite amie a dû quitter l'Egypte. Nous n'avions que sept ans. A la fin, il ne restait plus que mes parents et moi. Mon père était de ces Juifs qui disent: "Toute ma vie est ici. Je suis né ici, et c'est ici que je vais mourir. Ayons confiance que les choses vont s'arranger." Parfois c'est la bonne attitude et parfois c'est la mauvaise attitude. Ce n'est pas toujours clair a priori. Mon père est mort en Egypte en 1973, et ma mère est venue vivre avec nous, et a eu la joie de voir ses petits-enfants grandir autour d'elle pendant 20 ans.

Après cela, le plus dur à supporter était la propagande politique de haine qui s'insinuait partout, jusque dans les programmes scolaires. Elle était déguisée en "littérature arabe" ou en "sciences politiques" ou en "instruction civique". Nous étions forcés d'apprendre par coeur de longs passages en arabe remplis de diatribes contre l'Occident et contre Israël, qui sombraient parfois dans l'antisémitisme. Je devais les réciter à haute voix en classe. Jusqu'aujourd'hui j'ai des cauchemars qui reviennent régulièrement à ce sujet. Par exemple, un des multiples "poèmes" dans ce genre au programme parlait du "jour béni prochain où la belle Palestine deviendra une patrie pour nous et un grand cimetière pour les sionistes". J'avais 13 ans dans ce cas précis. Ce "poème" remplaçait ma bar mitzvah. Je n'ai pas eu l'occasion d'étudier le judaïsme pendant mon enfance et adolescence parce que la communauté se désintégrait rapidement autour de moi. Je n'ai jamais entendu parler de paix ou d'accord avec les Juifs autour de moi. A l'époque comme à présent, la presse, la radio et la télévision ne débitaient que de la haine, des diatribes, et des propos empoisonnés. Il fallait "jeter les Juifs à la mer".

Quand la guerre des Six-Jours a éclaté, tous les hommes juifs de 18 à 60 ans ont été emprisonnés. Ils ont dû supporter la torture et l'humiliation dans des conditions épouvantables, comme l'ont relaté les survivants. Ma famille a été épargnée cette épreuve, parce que je n'avais pas encore 18 ans, parce que mon père avait 64 ans, et parce que le reste de notre grande famille avait déjà quitté.

J'ai dû subir quatre mois d'incertitude et de difficultés avant de pouvoir quitter à mon tour. Et j'étais un des veinards -- d'autres ont dû attendre des années. Je n'ai jamais compris pourquoi. S'ils ne voulaient pas de nous, pourquoi ne nous laissaient-ils pas partir, tout simplement ? Ça allait sans dire qu'ils prendraient tout ce qui nous appartenait. Alors, pourquoi ne pas se dépêcher afin de le voler plus vite ? Je ne sais pas. Du Pharaon de l'Ancienne Egypte à la Syrie moderne et à l'Union Soviétique, nos tortionnaires ont dit: "Oui, nous détestons les Juifs, mais nous n'allons pas les laisser partir. Nous préférons les asservir, les exploiter, les garder en ôtages."

Finalement, le 28 octobre 1967, j'ai reçu mon exit visa, ma permission de quitter l'Egypte. Le Pharaon a décidé de laisser ce Juif particulier quitter. Il me donnait deux semaines pour vider les lieux. Des deux côtés du tampon de l'exit visa figurait la lettre "Y" en arabe, entre guillemets, ajoutée à la main à l'encre rouge. Cet "Y" voulait dire "Yahudi" -- "Juif". C'était un signal à ceux qui, plus tard, devaient vérifier mes papiers de me harceler autant que possible.

Plusieurs années plus tard, quand j'ai commencé à avoir des enfants, j'ai collé cet exit visa dans notre Haggadah de Pessah, à côté de l'expression traditionnelle: "B'chol dor vador, hayyav adam lir'ot et 'atsmo, k'illuhu yatsa mimmitzrayim -- A chaque génération, chacun doit se considérer comme s'il était lui-même sorti d'Egypte." Ça a toujours été facile pour moi de le dire !

Ce n'est que maintenant que les Juifs des pays arabes commencent à parler de leurs expériences. Avant, les blessures étaient trop fraîches, la peur de parler était toujours présente, et nous étions trop occupés à apprendre à survivre and à construire notre avenir dans de nouveaux pays. Nous ne pouvions pas non plus parler nos nouvelles langues suffisamment bien. Mais avec l'âge, le besoin se fait sentir d'enregistrer notre histoire pour la postérité. Aussi, comme les médias sont fortement enclins à présenter surtout le côté palestinien du conflit israélo-arabe, nous ressentons le besoin de présenter l'autre côté, le côté inconnu du public.

Beaucoup de groups se sont formés dans les communautés où les Juifs originaires des pays arabes sont fortement représentés. L'an dernier une conférence sur leur histoire a été organisé à Washington, à laquelle un membre du Congrès et autres personnages importants ont participé. L'Internet a grandement facilité l'échange de renseignements. Une "Société Historique des Juifs d'Egypte" a été formée à Brooklyn, avec un site à hsje.org. Elle essaie depuis longtemps de sauvegarder ce qui reste du patrimoine juif en Egypte, mais le gouvernement égyptien ne lui donne pas accès.

Je trouve cela vraiment incroyable, qu'en dépit du traité de paix avec Israël, en dépit des bonnes relations avec le gouvernement américain, en dépit des dizaines de milliards de dollars d'aide américaine, l'Egypte reste impénitente et essaie même de dérober le peu qui reste du patrimoine juif en Egypte.

-Je ne parle pas du fait que l'Egypte a volé des milliards d'euros à ses Juifs, les a forcés à quitter sans rien, et ne leur a jamais rien rendu, ce qui est contraire à ce qu'a fait le monde libre à l'égard d'autres communautés juives persécutées.
-Je ne parle pas du fait que l'Egypte n'a jamais reconnu les mauvais traitements qu'elle a infligés à ses Juifs, ni ne s'est excusée auprès d'eux, comme l'a fait le monde libre à l'égard d'autres communautés juives persécutées.
-Je ne parle pas du fait que l'Egypte n'a jamais reconnu, dans sa presse ni dans ses livres d'histoire, la grande contribution des Juifs à leur pays natal, comme l'a fait le monde libre à l'égard d'autres communautés juives persécutées.
-Je parle du fait que l'Egypte refuse même de rendre de simples articles qui nous racontent notre histoire: Des rouleaux de la Torah, des livres de prières, des bibliothèques, des petits objects rituels ou historiques, même des copies des archives rabbiniques qui nous révèlent qui nous sommes et qui sont nos ancêtres !

Je ne garde pas rancune contre ceux qui ne nous ont directement fait aucun mal. Si les Juifs perdaient leur temps à haïr collectivement tous les groupes qui leur ont fait du mal par le passé, ils ne pourraient rien faire d'autre, et n'auraient pas pu contribuer au bien-être at au progrès de l'humanité comme ils l'ont fait. La haine détruit tout d'abord ceux qui haïssent, c'est bien connu. Les Juifs se plient comme le roseau de la fable et continuent leur travail.

Je suis allé à l'école avec des Arabes chrétiens et musulmans. Je leur parle toujours et souvent, depuis que l'Internet existe. Une quarantaine d'entre nous échange des messages dans un forum électronique. Je me suis réuni avec une vingtaine d'entre eux, parmi les plus amicaux, à Paris en mai 2000. Je leur parle au téléphone, en Egypte, en France, en Arabie Séoudite, ou là où la vie les a conduits. Il se sont beaucoup souciés de mon bien-être le 11 septembre 2001, quand des terroristes arabes nous ont attaqués pour nous tuer, et j'ai personnellement failli y laisser ma peau.

Tant que nous nous écartons de la politique ou de la religion, nos relations sont cordiales, et nous gardons de précieux souvenirs d'avoir été camarades de classe dans des temps difficiles. Au niveau personnel, les relations sont toujours bonnes. C'est la coutume au Moyen-Orient. Les gens sont amicaux, hospitaliers, et en privé ils diront ce qu'on veut entendre. Mais en public, ils diront le contraire ou ne diront rien, et n'oseront pas contredire les extrémistes, parce qu'ils ont peur d'eux. C'est pour cela qu'en définitive, on ne sait jamais ce qu'ils pensent vraiment.

Les Juifs d'Egypte sont aujourd'hui dispersés à travers le monde. Israël en a accueillis environ 35.000, le Brésil 15.000, la France 10.000, les Etats-Unis 9.000, l'Argentine 9.000, et d'autres pays, comme le Royaume-Uni, le Canada, ou l'Australie, ont accueilli le reste. Pas un seul -- pas un seul ! -- n'est retourné vivre là-bas. Certains sont retournés visiter, mais la plupart, dont moi-même, ne veulent même pas visiter. L'Egypte est pratiquement judenrein aujourd'hui, vide de Juifs, pour la première fois depuis les temps bibliques. Peut-être que le commandement de ne pas habiter en permanence en Egypte doit être pris littéralement.

Les Juifs sont peut-être partis d'Egypte, mais l'Egypte continue néanmoins à les diaboliser, dans sa presse et dans ses médias, dans ses mosquées et dans ses églises, souvent sans même prendre la peine de masquer son antisémitisme par une critique d'Israël.

Je voudrais conclure sur une note positive. Comme on dit, les voies du Seigneur sont impénétrables. En fin de compte, les Juifs d'Egypte se sont bien débrouillés et sont plus heureux là où ils sont qu'ils n'auraient jamais pu l'être en Egypte, même dans les meilleures circonstances. Il est vrai que certains, parmi ceux qui ont quitté à l'âge mûr, ont eu des difficultés d'adaptation, mais tous sont d'accord sur le fait que leurs descendants ont une vie meilleure, comme les événements l'ont démontré. En ce 350ème anniversaire de l'arrivée des premiers Juifs aux Etats-Unis, je suis reconnaissant pour tous les bienfaits que ce grand et bon pays nous a offerts. Il faut l'aider à les protéger, et ne jamais les tenir pour acquis.

Hinné ! Lo yanum v'lo yishan shomer Yisrael.
Voici ! Il ne sommeille ni ne dort, Celui qui garde Israël. [Ps. 121:4]

Merci de votre attention.

Dr Maurice M. Mizrahi (mizrahim @ cox . net)
Mercredi 18 avril 2012 / 26 Nissan 5772 B”H
Original: octobre 2004
Traduit de l’anglais par l’auteur